L'Observatoire de l'Abitibi-Témiscamingue

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Entrepreneuriat , Innovation

Croître et innover

— Mariella Collini

Pour naviguer dans un environnement économique de plus en plus complexe et compétitif, les entreprises doivent non seulement adapter leurs pratiques pour croître et se renouveler, mais aussi tirer parti du soutien des organismes de proximité. Une étude analyse les méthodes employées par 473 entreprises de l’Abitibi-Témiscamingue pour stimuler leur développement, tout en approfondissant les retombées des innovations sur leur performance entrepreneuriale.




À la demande d’une dizaine d’organisations de la région désireuses de développer un outil de suivi de leur performance en matière de soutien et d’accompagnement, une démarche concertée a été lancée pour mieux comprendre les dynamiques entrepreneuriales et d’innovation au sein des entreprises de l’Abitibi-Témiscamingue. Ce projet s’appuie sur une revue de la littérature, une consultation auprès de 28 organisations1 ainsi que sur les résultats d’un sondage auquel 473 entreprises ont participé2. Cet article présente certains résultats du sondage afin de mettre en lumière le profil des entreprises répondantes, l’adoption et les retombées des stratégies d’innovation au sein des entreprises ainsi que leurs relations avec les organisations de l’écosystème.

CARACTÉRISTIQUES DES ENTREPRISES
Les données obtenues des 473 entreprises de l’Abitibi-Témiscamingue révèlent qu’elles sont réparties de manière représentative dans l’ensemble des MRC et des secteurs d’activité. Près de la moitié des entreprises affichent un chiffre d’affaires inférieur à 1 M$, en cohérence avec la petite taille de la majorité des entreprises. Une plus faible proportion d’entreprises (11 %) génère des revenus de 10 M$ et plus, indiquant une concentration de l’activité économique dans quelques entreprises de taille moyenne ou grande. La majorité des entreprises répondantes (64 %) sont en activité depuis plus de 10 ans, ce qui suggère une stabilité et une longévité du tissu entrepreneurial dans la région. Les entreprises en démarrage, soit en activité depuis moins de 5 ans, représentent 19 % de l’ensemble des entreprises répondantes. Près de 4 entreprises sur 10 destinent leurs produits et services au marché régional uniquement, tandis que celles qui exportent le font dans d’autres pays (47 %), à l’échelle du Québec (25 %) et du Canada (10 %).


Au chapitre des gestionnaires, la majorité des entreprises (61 %) sont dirigées par des personnes âgées de 35 à 54 ans. Le quart des entreprises sont dirigées par des personnes de 55 ans et plus, soulevant un enjeu de relève, tandis que 14 % sont dirigées par des jeunes adultes de 18 à 34 ans. Au chapitre de la représentation féminine, plus du quart des entreprises sont dirigées par une femme.

> VALEUR AJOUTÉE
L’étude révèle que les entreprises ayant une dirigeante à leur tête se distinguent par plusieurs aspects positifs. Elles tendent à bénéficier d’une stabilité accrue et sont plus enclines à entreprendre des projets d’innovation, à développer des produits novateurs et à adopter une culture qui valorise et récompense l’innovation. En outre, ces entreprises sont plus susceptibles d’être engagées dans des initiatives d’innovation sociale et environnementale. 

PENSÉE STRATÉGIQUE

L’analyse des stratégies des entreprises révèle leur approche face à l’innovation et la gestion du changement. Sept entreprises sur dix reconnaissent l’importance de l’innovation pour la pérennité de leur activité. Plus spécifiquement, une majorité encore plus large considère comme cruciale l’innovation sociale (86 %) et environnementale (85 %). Or, l’étude souligne un écart entre cette reconnaissance et la mise en œuvre effective de stratégies pour gérer les changements nécessaires à leur évolution. Ainsi, seulement le tiers des entreprises se sentent suffisamment outillées pour mieux faire face aux enjeux de leur environnement interne et externe. Elles estiment manquer le plus de préparation pour les enjeux liés à l’attraction et la rétention de main-d’œuvre, aux défis économiques et à la transition numérique. Au chapitre des pratiques de gestion stratégique, moins de la moitié des entreprises procèdent périodiquement à des autodiagnostics pour dégager des pistes de développement, et encore moins ont mis en place des stratégies de croissance (40 %) ou d’innovation (24 %). Seulement le quart des entreprises encouragent et récompensent l’innovation au sein de leur organisation.

PERFORMANCE SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE
L’amélioration de la performance sociale et environnementale des entreprises prend une place de plus en plus importante, avec près de la moitié des entreprises répondantes (46 %) ayant mis en place des actions en ce sens. Sur le plan social, les mesures les plus courantes incluent l’instauration d’un dialogue transparent sur les pratiques de l’entreprise avec le personnel, les partenaires et la clientèle (27 %), la clarification du modèle d’affaires en lien avec la performance sociale (20 %) et la promotion de critères d’équité ou d’inclusion (16 %) ou d’une culture d’innovation (16 %). Au plan environnemental, les mesures mentionnées le plus fréquemment visent à réduire la consommation d’énergie (22 %) et à optimiser les transports (22 %). D’autres initiatives comprennent la mise en place de chaînes d’approvisionnement responsables (15 %) et l’écoconception (12 %). L’étude révèle certains domaines où des efforts sont encore nécessaires comme l’intégration de personnes en situation de handicap, l’intégration de la dimension sociale comme critère de décision stratégique ou encore, la mise en œuvre d’initiatives de circularité.

PROJETS DE CROISSANCE
Au cours des 3 dernières années, 315 entreprises ont mené au moins un projet de croissance, soit des projets visant notamment à élargir l’offre de produits et services et à accroître leur présence sur les marchés. L’innovation a joué un rôle clé pour environ le tiers de ces projets de croissance. D’ici les 3 prochaines années, 254 entreprises prévoient mener de tels projets (54 %), principalement pour développer des marchés d’exportation et exploiter de nouveaux créneaux dans d’autres secteurs.

ÉCOSYSTÈME DES ENTREPRISES
La quasi-totalité des entreprises (96 %) connaît au moins un organisme de son écosystème de proximité, et une majorité (62 %) utilise leurs services. Ces organismes ainsi que leurs services sont souvent associés à une innovation accrue, notamment sociale et environnementale. On souligne l’efficacité des organisations locales, en particulier en matière de financement, de formation et d’innovation. Les deux tiers des entreprises connaissent les organismes de l’écosystème d’innovation à l’échelle provinciale et nationale, et seulement 29 % ont utilisé leurs services.

L’écosystème global de soutien à l’innovation est perçu comme incomplet et complexe. L’utilisation des services disponibles y est perçue comme difficile par les entreprises. Cette perception pourrait freiner l’engagement des entreprises avec l’écosystème, limitant possiblement leur potentiel d’innovation et de croissance. Les entreprises suggèrent des améliorations pour un soutien plus spécialisé et person-nalisé, notamment l’amélioration des compétences techniques des agentes et agents et l’offre d’un accompagnement plus poussé, plutôt que de simples recommandations.

ENTREPRISES INNOVANTES SOUS LA LOUPE

En Abitibi-Témiscamingue, 270 (ou 57 %) des entreprises ont mené au moins un projet d’innovation au cours des 24 derniers mois. Les entreprises innovantes se distinguent de celles non innovantes par leur taille et leur chiffre d’affaires, étant six fois plus nombreuses à compter 100 personnes employées et plus (6,3 %) et deux fois plus à déclarer 10 M$ et plus (14 %). Leurs marchés d’exportation sont également plus diversifiés, avec des produits destinés à d’autres régions du Québec (30 % c. 19 %), du Canada (14 % c. 4 %) ou à l’international (56 % c. 34 %). Elles sont également plus portées à considérer l’innovation comme essentielle pour leur développement et leur durabilité (75 % c. 63 %) ainsi que pour leur compétitivité (89 % c. 82 %). Elles sont plus enclines à faire des autodiagnostics (57 % c. 33 %), à adopter une stratégie de croissance (46 % c. 31 %) et d’innovation (30 % c. 16 %) ainsi qu’à récompenser l’innovation (33 % c. 15 %).

Projets d’innovation
Les entreprises innovantes ont concentré leurs efforts dans des projets visant l’amélioration et le développement de nouveaux produits (69 %), suivis des innovations en gestion organisationnelle comme les ressources humaines (31 %), en commercialisation (27 %), en fabrication (26 %) et en livraison (19 %). Simultanément, les entreprises ont déclaré avoir diversifié leur offre avec des produits ou services déjà existants, et en ayant adopté de nouvelles technologies. Cependant, elles ont été moins nombreuses à déclarer avoir développer de nouveaux processus ou de nouvelles technologies. La sensibilisation à l’importance de l’innovation demeure un défi. Par exemple, parmi les entreprises non innovantes, plus du tiers (36 %) affirmaient ne pas avoir de besoins spécifiques nécessitant une solution innovante.

Contexte et performance de l’innovation
Les projets d’innovation ont principalement été mis en œuvre par les entreprises innovantes pour répondre à des demandes internes (54 %) et pour des impératifs de compétitivité (38 %), et un peu moins pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre (30 %) ou encore, à la demande d’un client (24 %). Les projets d’innovation ont conduit à une hausse de la productivité (72 %) et des ventes (71 %), ainsi qu’à une pénétration accrue de nouveaux marchés (58 %). Au-delà des avantages économiques, les projets d’innovation ont aussi amélioré la portée sociale (57 %) et environnementale (49 %) des entreprises innovantes.

Ressources dédiées à l’innovation
Quatre-vingts pour cent des entreprises innovantes ont financé leurs projets d’innovation avec leurs propres fonds, ce qui peut limiter la possibilité d’entreprendre des projets plus ambitieux. L’étude montre que ces entreprises ont peu recours à des sources de financement externes (investisseurs privés, financement participatif, prêts gouvernementaux, subventions, crédits d’impôt à la R&D) ou à des partenariats publics ou institutionnels (8 %). En ce sens, plus du tiers des entreprises innovantes collaborent (36 %) avec des consultantes et consultants ou avec des firmes privées, ce qui peut refléter une préférence pour des solutions pragmatiques et ciblées par rapport à des partenariats plus complexes. La taille modeste de la majorité des entreprises de la région pourrait expliquer en partie ces constats, vu la relative complexité des démarches et les moyens limités des PME. Cela souligne la pertinence d’un accompagnement adéquat, notamment en matière de financement pour les plus petites entreprises.

EN CONCLUSION
L’étude conclut qu’il y a peu de différences entre les entreprises selon leur territoire de MRC. Toutefois, les données analysées par secteur d’activité montrent davantage de différences, tout comme entre les entreprises innovantes et non innovantes (encadré). Il appert que les organismes de l’écosystème ont intérêt à travailler de concert, d’une part pour la mise en œuvre de solutions communes, et d’autre part pour offrir des services adaptés aux entreprises innovantes.  

Notes : 
1. Cloutier, J.-S. Mieux soutenir et accompagner l’innovation et l’entrepreneuriat en Abitibi-Témiscamingue : la consultation des acteurs de l’écosystème, Revue Organisations & territoires, 2024.
2. Période du sondage : janvier à juillet 2023. Taux de réponse au sondage : 45 %.

Source : Cloutier, Jean-Samuel, Portrait de l’innovation et de l’entrepreneuriat en Abitibi-Témiscamingue, rapport synthèse et rapport final, 2024.

 



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